Le 2 août 2023, une annonce inattendue secoue le secteur bancaire français : Philippe Heim quitte la présidence du directoire de La Banque Postale. Cette nouvelle surprend d’autant plus que son mandat venait d’être renouvelé pour cinq ans supplémentaires seulement six mois auparavant, en février 2023. Vous vous demandez certainement comment un dirigeant fraîchement reconduit peut partir aussi brutalement. Ce départ révèle les tensions profondes qui traversent les établissements publics, tiraillés entre leurs ambitions de finance responsable et les impératifs de rentabilité imposés par leurs actionnaires. Derrière le communiqué officiel poli se cachent des désaccords stratégiques majeurs, des résultats financiers décevants et une gouvernance fragilisée. Nous allons décrypter ensemble les véritables raisons de cette éviction qui marque un tournant dans l’histoire de l’établissement public.
Un départ brutal et inattendu
L’annonce du départ de Philippe Heim intervient le mercredi 2 août 2023, précisément le jour de la présentation des résultats semestriels au conseil de surveillance de La Banque Postale. Le timing ne doit rien au hasard : cette coïncidence entre la publication de chiffres mitigés et l’éviction du dirigeant traduit une sanction actée dans l’urgence. Quelques jours avant l’annonce officielle, les rumeurs circulaient déjà dans les couloirs du secteur bancaire, comme l’avait rapporté Le Figaro.
Ce départ brutal contraste violemment avec le renouvellement de son mandat pour cinq ans décidé en février 2023 par le conseil de surveillance. Comment expliquer qu’un dirigeant reconduit avec confiance soit poussé vers la sortie six mois plus tard ? Cette volte-face révèle une détérioration rapide des relations entre Philippe Heim et l’actionnaire public. La décision finale a été actée lors du conseil de surveillance de La Poste tenu le matin même, avant que la communication officielle ne soit diffusée dans l’après-midi.
Le parcours de Philippe Heim à La Banque Postale
Philippe Heim arrive à la tête de La Banque Postale en septembre 2020, en provenance de Société Générale où il avait gravi tous les échelons pendant treize ans. Au sein de cet établissement, il avait notamment occupé les fonctions de directeur financier du groupe de 2013 à 2018, avant d’être nommé directeur général délégué en charge de la banque de détail internationale et des services financiers. Son expertise reconnue lui avait valu d’être élu meilleur directeur financier français en 2017.
Durant ses trois années à la présidence du directoire, Philippe Heim s’est attelé à transformer profondément le modèle de La Banque Postale. Il a finalisé le rapprochement stratégique avec CNP Assurances, dont l’établissement a acquis 100% du capital en 2022 pour créer un grand groupe de bancassurance. Il a porté l’ambition de positionner la banque comme leader de la finance durable, obtenant le statut d’entreprise à mission et la certification de sa stratégie de décarbonation par la Science Based Targets initiative. Cette orientation responsable constituait le cœur de son projet stratégique, mais c’est précisément ce qui allait créer des tensions avec l’actionnaire.
Les raisons officielles invoquées
Le communiqué de presse diffusé le 2 août 2023 présente une version lisse et consensuelle du départ. Selon la version officielle, Philippe Heim quitte ses fonctions pour se consacrer à de nouveaux projets de développement dans la finance responsable. Philippe Wahl, président du groupe La Poste et du conseil de surveillance de La Banque Postale, salue chaleureusement l’action du dirigeant durant trois années à la tête de l’établissement.
Le communiqué met en avant les réalisations accomplies sous son pilotage : accélération de la transformation vers un grand groupe européen de bancassurance, finalisation du rapprochement avec CNP Assurances, adoption du statut d’entreprise à mission et leadership dans la finance durable. Philippe Heim lui-même exprime sa fierté d’avoir conduit cette transformation aux côtés des collaborateurs. Mais cette communication soigneusement orchestrée masque une réalité bien moins reluisante : des tensions stratégiques majeures et des résultats financiers qui ont scellé le sort du dirigeant.
Les véritables motifs du départ
La réalité derrière ce départ est bien plus complexe que la version officielle ne le laisse entendre. Les tensions entre Philippe Heim et l’actionnaire public portaient sur des désaccords profonds concernant les orientations stratégiques de la banque. D’un côté, le président du directoire défendait une vision ambitieuse de finance responsable et durable, quitte à sacrifier une partie de la rentabilité immédiate. De l’autre, le groupe La Poste exigeait des résultats financiers solides et une gestion plus prudente des risques.
Ces divergences ont atteint un point de rupture au cours de l’été 2023. Quelques jours avant l’éviction de Philippe Heim, un autre départ significatif avait déjà révélé les fissures au sein de l’équipe dirigeante : Olivier Lévy-Barouch, directeur général adjoint, avait quitté ses fonctions le 20 juillet 2023 en raison d’un désaccord stratégique sur l’activité d’investissement. Quand les cadres dirigeants commencent à partir dans un laps de temps aussi court, cela témoigne d’une crise de gouvernance profonde. Le conseil de surveillance a tranché en faveur d’un changement de cap, actant l’éviction lors de sa réunion du 2 août.
Les résultats décevants aux stress tests de la BCE
Un élément déclencheur a précipité la chute de Philippe Heim : les résultats catastrophiques de La Banque Postale aux stress tests européens publiés le 28 juillet 2023 par l’Autorité Bancaire Européenne. Dans le scénario défavorable, l’établissement termine l’exercice avec un ratio de fonds propres CET1 de seulement 0,05% en 2025, soit quasiment à zéro. Ce résultat place la banque en dernière position parmi tous les établissements français testés, la moyenne tricolore s’établissant à 9,15%.
Ces mauvais résultats s’expliquent par la prise de contrôle à 100% de CNP Assurances finalisée en 2022. Les activités d’assurance représentent désormais environ 60% du bilan consolidé du groupe, créant une sensibilité accrue aux chocs de marché, particulièrement sur les portefeuilles d’actifs financiers et immobiliers. La méthodologie des stress tests, qui impose des hypothèses très conservatrices, a mis en lumière cette vulnérabilité structurelle.
Publié seulement cinq jours avant l’annonce du départ de Philippe Heim, ce classement humiliant a joué un rôle déterminant dans la décision du conseil de surveillance. Comment justifier le maintien d’un dirigeant dont l’établissement affiche de tels résultats face à la BCE ? Ces chiffres ont fourni la justification technique nécessaire pour acter une éviction qui répondait à des tensions stratégiques plus profondes.
La question de la stratégie et de la prise de risque
Au cœur du conflit entre Philippe Heim et l’actionnaire public se trouve une contradiction fondamentale : comment concilier les ambitions de finance responsable avec les exigences de rentabilité ? Le président du directoire avait fait de la transition écologique et de la finance à impact les piliers de sa stratégie, positionnant La Banque Postale comme leader dans ce domaine. Mais cette orientation s’accompagnait de choix commerciaux qui ont fragilisé les équilibres financiers de l’établissement.
La banque de détail et la banque de financement et d’investissement affichaient des résultats négatifs ou décevants. Plus préoccupant encore, la politique menée sur les crédits immobiliers s’est révélée désastreuse : alors que toutes les banques françaises avaient coupé les robinets face à la remontée des taux d’intérêt, La Banque Postale a continué d’émettre des prêts à des taux bas, provoquant plusieurs centaines de millions d’euros de pertes. Cette gestion a permis de gagner des parts de marché, mais au prix d’un coût du risque difficilement soutenable.
Ces contradictions illustrent les difficultés inhérentes aux banques publiques. Vous attendez d’elles qu’elles soutiennent les territoires, qu’elles accompagnent les collectivités locales, qu’elles financent la transition écologique tout en maintenant une présence physique partout en France. Mais simultanément, l’actionnaire public exige de la rentabilité et une gestion prudente. Philippe Heim s’est retrouvé pris dans cette tenaille impossible, où chaque choix commercial devient une équation sans solution satisfaisante pour toutes les parties prenantes.
L’opération CNP Assurances et ses conséquences
Le rapprochement avec CNP Assurances, finalisé en juin 2022 après une offre publique d’achat simplifiée suivie d’un retrait de la cote, constitue la réalisation majeure du mandat de Philippe Heim. Cette opération, d’un montant de 5,5 milliards d’euros, a créé un grand groupe de bancassurance contrôlé à 100% par La Banque Postale. L’objectif affiché était de constituer un leader européen de la bancassurance au sein du grand pôle financier public, en diversifiant les sources de revenus et en mutualisant les synergies commerciales.
Mais cette stratégie comporte un revers majeur : elle a créé une dépendance structurelle aux résultats et aux risques de CNP Assurances. Les activités d’assurance pèsent désormais environ 60% du bilan consolidé, exposant massivement le groupe aux chocs de marché, aux variations des taux d’intérêt et aux évolutions des portefeuilles d’actifs financiers et immobiliers. Cette concentration excessive fragilise la résilience de l’ensemble face aux crises, comme l’ont démontré les stress tests de juillet 2023.
Voici un tableau comparatif présentant l’évolution de La Banque Postale avant et après le rapprochement avec CNP Assurances :
| Période | Structure capitalistique | Poids de l’assurance | Exposition aux risques de marché |
|---|---|---|---|
| Avant 2022 | CNP Assurances cotée en Bourse, détenue à 62% par LBP | Environ 40% du bilan consolidé | Modérée, diversifiée entre banque et assurance |
| Après 2022 | CNP Assurances détenue à 100%, retirée de la cote | Environ 60% du bilan consolidé | Élevée, concentration sur les actifs financiers et immobiliers |
Cette transformation stratégique, portée par Philippe Heim comme un succès majeur, a finalement contribué à fragiliser sa position. La vulnérabilité révélée par les stress tests découle directement de ce choix structurant, qui a modifié profondément le profil de risque du groupe.
La succession et l’intérim
Dès l’annonce du départ de Philippe Heim, le conseil de surveillance a désigné Stéphane Dedeyan pour assurer l’intérim de la présidence du directoire. Ce choix n’a rien d’anodin : Dedeyan occupait depuis avril 2021 les fonctions de directeur général de CNP Assurances et siégeait au directoire de La Banque Postale depuis octobre 2022. Sa connaissance approfondie des deux entités en faisait le candidat naturel pour gérer la transition.
Le 17 octobre 2023, soit deux mois et demi après avoir pris l’intérim, Stéphane Dedeyan est officiellement nommé président du directoire de La Banque Postale. Il devient simultanément directeur général adjoint du groupe La Poste et membre de son comité exécutif, cumulant ainsi des responsabilités considérables. Cette nomination confirme l’orientation bancassurance du groupe, puisque le nouveau dirigeant vient du monde de l’assurance et continue d’assurer la direction générale de CNP Assurances jusqu’à la nomination de son successeur.
Philippe Wahl salue les grandes qualités de dirigeant de Stéphane Dedeyan et lui fixe comme mission principale d’accélérer le développement de La Banque Postale dans ses différents métiers, en synergie avec le groupe La Poste et le grand pôle financier public. Cette succession rapide témoigne d’une volonté de tourner la page et de stabiliser une gouvernance mise à mal par les tensions des derniers mois.
Les leçons d’un départ fracassant
L’éviction de Philippe Heim révèle les contradictions structurelles qui minent la gouvernance des entreprises publiques françaises. Vous constatez une instabilité chronique à la tête de La Banque Postale : Rémy Weber, prédécesseur de Philippe Heim, avait lui aussi quitté ses fonctions en juillet 2020 dans des conditions tendues, suite à une divergence de vue sur la gouvernance de CNP Assurances. Cette valse des dirigeants fragilise la stratégie de long terme et empêche la banque de construire une vision cohérente sur la durée.
Le cas de Philippe Heim illustre le dilemme impossible des dirigeants de banques publiques : satisfaire simultanément les attentes citoyennes de finance responsable et les exigences de rentabilité de l’actionnaire public. Quand nous analysons les raisons de son départ, nous observons qu’il a été sanctionné pour avoir trop privilégié la première dimension au détriment de la seconde. Son successeur devra trouver un équilibre entre ces deux impératifs contradictoires, tout en restaurant la confiance des régulateurs européens après les résultats désastreux aux stress tests.
Les défis qui attendent Stéphane Dedeyan sont considérables : redresser la rentabilité de la banque de détail et de la banque de financement, gérer l’exposition excessive aux risques de marché héritée du rapprochement avec CNP Assurances, maintenir l’engagement dans la finance durable sans sacrifier les équilibres financiers, et surtout stabiliser une gouvernance trop souvent chahutée par les changements de cap brutaux. Nous verrons si le nouveau dirigeant parviendra à réussir là où ses prédécesseurs ont échoué, dans un contexte économique et réglementaire qui ne cesse de se durcir pour les établissements bancaires européens.




